Philippe Mollé a raté sa sauce en écrivant « Les oubliés du végétarisme» (Le Devoir, 2 décembre 2012)

Étant végétarienne depuis plus de 40 ans (dont une vingtaine d’années comme végétalienne), j’ai assisté à l’évolution plus que positive de ce mode d’alimentation au Québec et ailleurs. Fait indéniable à souligner : on retrouve de plus en plus de végétariens/végétaliens, en particulier chez les jeunes, contredisant M. Mollé, qui affirme que le végétarisme n’est « plus à la mode au Québec ».

Très anecdotique que d’écrire que se nourrir sans viande ou poisson est dénué de tout « intérêt gastronomique ».

On devrait plutôt se demander qu’est-ce que la gastronomie au sens strict du terme pour M. Mollé ? Faut-il que le repas soit préparé par un chef pour avoir l’appellation de gastronomique ? La gastronomie consiste-t-elle plutôt à se rappeler avec délectation un repas mémorable et parfait ?

Souvenirs gastronomiques

Pour ma part, j’ai dégusté, au cours des décennies passées, des repas gastronomiques végés des plus divers. À Kaboul, je me souviens d’un riz au safran, à Dubaï d’une salade de fruits séchés pour déjeuner, et au Vatican d’un potage végé tomates et légumes. En Inde, il existe des restaurants « pure vegetarian » où le pakora est croustillant, avec juste ce qu’il faut de chou-fleur parfumé au cumin. Sur Air France, il est possible de savourer un repas végétalien de haut niveau, de la soupe au dessert.

Ce sont les végétariens qui ont introduit en Amérique du Nord dans les années 70 le tamari, le miso, les germinations, le riz basmati et le tofu. Et ils savaient très bien concocter de délicieux menus avec ces ingrédients, autant à la maison que dans leurs restos végés.

Flexi-rien du tout

Lorsque le Commensal a ouvert ses portes il y a plus d’une trentaine d’années, on pouvait y goûter de savoureuses préparations imaginées par la propriétaire du moment, Claude Langevin, et réalisées par le chef végétarien Germain Beaulieu, qui officie maintenant à Trois-Pistoles.

Au fil des années, à force de vouloir aseptiser la nourriture en coupant dans le sel et le gras, les mets du Commensal sont devenus banals en plus d’être très chers. L’idée tout à fait mercantile de nommer récemment le restaurant « flexitarien » ne veut justement rien dire.

C’est plutôt un restaurant omnivore, comme il en existe des centaines à Montréal. Comme ces restaurants japonais, marocains, libanais ou indiens où l’on peut manger de la tempura aux légumes, du couscous aux pois chiches ou des falafels, mais à petit prix. Tous les quartiers chinois de la planète permettent aussi de découvrir du tofu, du faux poulet ou des crevettes à base de soya. Pas besoin d’être bouddhiste pour apprécier le très végétarien « Buddha’s delight » des restaurants chinois.

Élevage intensif de poulets

Le Commensal, malgré l’affirmation farfelue de M. Mollé, n’apporte pas un « vent de fraîcheur » en intégrant dans ses menus du poisson ou du poulet, mais plutôt un courant d’air nauséabond pour beaucoup de végétariens ou végétaliens. Cette chaîne de restaurants ne peut, sans tromper sa clientèle, maintenant affirmer que ses repas sont « santé et respectent l’environnement ». Pas lorsqu’on sait que son poulet provient d’un élevage intensif qui tue des milliers de poulets par semaine, ses oeufs de poules en cages et qu’on racle les fonds marins pour pêcher crevettes et poissons.

Le « flexitarisme » n’est pas une avancée, ni la naissance « d’un nouveau style de végétarisme ». C’est plutôt un recul pour la santé des humains, la souffrance des animaux et le gaspillage des ressources planétaires en eau potable et en céréales. Au lieu d’être flexibles, ne soyons pas hypocrites. (Marjolaine Jolicoeur)

Publié dans Le Devoir: http://www.ledevoir.com/art-de-vivre/alimentation/365675/les-ignorants-du-vegetarisme